wherever I go there's a shadow of you / wyatt

Une fois n’est pas coutume, elle est en avance. Ce n’était même pas volontaire, elle avait simplement été réveillée par un bruit de klaxon plus poussé que d’habitude. Impossible de se rendormir une fois qu’on entend tous les bruits de la rue, alors elle décide de se lever et de commencer tous ses rituels du matin en avance. Yoga du jour, douche, petit déjeuner équilibré, petit tour sur son blog pour voir les commentaires s’il y en a. Et une fois que tout ça est fait, le trou. Elle ne sait plus quoi faire d’autre. Zach n’a pas école aujourd’hui, pas besoin de le réveiller. Après avoir fait le tour des notifications les plus vieilles sur son téléphone, elle décide de sortir de chez elle. Mieux vaut ça que tourner en rond. Surtout avec le temps magnifique qu’il fait, elle pourra avancer de quelques stations de métro à pied. Et même s’arrêter dans un café en chemin, qu’elle se dit en passant devant. Un petit décaféiné avant de commencer une journée de travail qui s’annonce longue. Surtout s’il lui manque un peu de sommeil. Les lieux sont déjà envahis par toutes ces personnes pressées d’aller au travail, mais elle trouve facilement une petite table libre, où elle s’installe, avant de commander son café avec une petite pâtisserie. Parfaite façon de commencer la journée. Elle s’installe dans le fond de sa chaise, et regarde les gens passer. La plupart ne prennent pas le temps de s’assoir, regardent leur téléphone dans la file d’attente, commandent seulement un café à emporter et repartent aussitôt, sans doute vers leur journée de travail. C’est ce qu’elle a tendance à faire d’habitude, se presser et boire son café directement à la salle de sport. Elle entame son petit pain au chocolat, prenant son temps, quand elle manque de s’étrangler sur sa bouchée, quand elle voit une tête se retourner dans la file d’attente. Merde ! C’est la première fois qu’elle le voit depuis… depuis qu’ils ont rompu parce qu’elle était enceinte en fait. Et son premier réflexe, sans doute pas le bon, se cacher derrière le menu posé sur la table, et prier pour qu’il ne l’ait pas vue.

Elle relève doucement la tête, pour que ses yeux voient au-dessus du menu derrière lequel elle a trouvé logique de se cacher, tout ça pour réaliser que ça n’a servi à rien. Wyatt l’a vue, trop tard. Et forcément, il faut qu’il vienne la voir. Comme si ça pouvait être quelque chose dont elle avait un tant soit peu envie. Et voilà qu’en plus de ça, il se moque d’elle, et s’installe sans même demander une quelconque permission. Freya repose le menu sur la table, tout en levant les yeux au ciel. Dieu qu’elle voudrait juste pouvoir l’ignorer. N’aurait-il pas pu l’ignorer, lui ? « Je note la suggestion pour la prochaine fois. » En espérant qu’il n’y en aura pas. Son ton est froid, mais elle voudrait bien couper l’envie à Wyatt de rester longtemps. Ou peut-être qu’elle devrait partir directement. Oui, ça serait une bonne idée. Dommage qu’elle n’ait pas pris son café à emporter. Et puis l’entendre user de son ton mielleux pour lui faire un compliment… de quoi lui donner envie de vomir. Dire que ça fonctionnait à l’époque. Elle était jeune et stupide. Heureusement, elle a bien changé depuis. « T’es sérieux là ? Toujours aussi charmante ? » Elle reprend ses mots, tout en croisant ses jambes. Certes, il a raison mais ça ne veut pas dire qu’il a le droit de le remarquer. Ou même de lui parler tout court. « Par contre, la chaise est prise, j’attends quelqu’un. » Bien sûr, elle ment, mais il n’a pas à le savoir.

Elle ne compte pas faire semblant d’être heureuse de le voir, pas une seule seconde. Ça serait mal la connaître de penser qu’elle ferait ça. Le temps n’a pas amoindri sa haine envers Wyatt, c’est peut-être même le contraire. Qu’elle le veuille ou non, Zach lui rappelle forcément Wyatt, d’une façon ou d’une autre. Un jour, il lui demandera sans doute qui est son père. Et ce jour-là, elle ne sait pas ce qu’elle répondra. Elle ne donnera pas de nom en tout cas. Wyatt l’a assez déçue, elle ne prendra pas de risque avec son fils. De son idée de mieux se cacher s’ils sont amenés à se recroiser, Wyatt ne retient que le fait qu’ils pourraient se revoir. Pourtant, son ton n’impliquait pas qu’elle plaisantait. « J’espère sincèrement que non. » Elle ne compte pas prendre de pincettes avec lui. En avait-il pris quand elle lui avait pris qu’elle était enceinte de lui ? Et non, elle n’a pas envie qu’il lui fasse de compliments, ni qu’il fasse le contraire. Elle ne veut rien de lui, tout simplement. Elle tente de le faire partir en s’inventant un rendez-vous avec quelqu’un qui doit la rejoindre. Sauf que forcément, il ne la croit pas. C’est dans ces moments-là qu’elle aimerait être meilleure menteuse. La porte lui fait toujours de l’œil quand même. Et cette confiance en lui dont Wyatt déborde l’énerve au plus haut point. Alors qu’elle trouvait ça séduisant fut un temps. Avant de réaliser qui il était vraiment, et quelle bêtise elle avait fait en tombant amoureuse de lui. « La chaise peut-être, mais pas moi en tout cas. » Pas la peine d’insister avec son rendez-vous imaginaire, elle n’a pas envie de se ridiculiser davantage. « Tu es policier alors ? La sécurité de la ville entre tes mains… très rassurant. » Elle ne le regarde toujours pas, mais elle a forcément remarqué son uniforme.

Freya n’a jamais eu l’intention de le revoir. A partir du moment où il avait refusé d’assumer sa paternité et que la rupture avait suivi, elle avait tiré un trait sur lui et sur leur histoire. Même si ça avait été un peu plus difficile et long qu’elle veut bien l’avouer, elle avait mis Wyatt derrière elle, loin derrière elle. Pour son bien-être mental, mais aussi pour qu’il n’arrive jamais dans la vie de son fils. Cet enfant dont il n’a pas voulu. Alors forcément, tomber sur lui aujourd’hui est loin de lui faire plaisir. Voir à quel point Wyatt agit comme un connard arrogant n’arrange en rien les choses. « Surprise est un bien grand mot. » Pour ça, il faudrait que ça l’intéresse. Ça n’est pas le cas. Et le voilà qui se vante de son rang. Qu’espère-t-il donc gagner de cette rencontre ? Peu importe ce qu’il lui dit, Freya ne fait que bouillonner de l’intérieur. Mais au lieu de lui jeter son décaféiné à la figure, elle en boit une gorgée et essaye de se calmer, juste un peu. Elle doute que Wyatt soit vraiment intéressé par ce qu’elle est devenue. Surtout qu’elle n’a pas réalisé les rêves qu’elle avait à l’époque. Mais peu importe, elle a réussi à trouver quelque chose qui lui plaît, et elle est heureuse ainsi. Et elle n’échangerait tout ça pour rien au monde, simplement pour Zach. « Non. » Qu’elle répond tout simplement, en fixant son pain au chocolat. « Mais pas besoin de faire semblant que ça t’intéresse. Je ne sais pas ce que tu cherches à faire, mais ça ne fonctionnera pas. Tu ferais mieux d’acheter des donuts et de partir. Ils sont délicieux ici. » Et pour la première fois depuis le début de leur conversation, elle le regarde dans les yeux. Le tout pour lui offrir son sourire le plus sarcastique.

Déjà, on ne peut pas dire que Freya soit heureuse de tomber sur Wyatt. Elle ne l’a pas revu depuis leur rupture, et ça l’arrangeait bien. Mais en plus de ça, la façon dont il se comporte le rend encore plus détestable à ses yeux. Elle avait fait en sorte d’oublier les souvenirs heureux qu’ils avaient partagés, tellement teintés par cette fin qui lui laisse toujours un goût amer en bouche. A se demander comment elle a pu tomber amoureuse de lui un jour. Mais elle était une autre personne à l’époque. Finalement, alors que Freya continue d’être agressive, Wyatt arrête de jouer au con. Il était sans doute temps qu’il comprenne que ça ne prendrait pas avec elle. A vrai dire, quoiqu’il dise, elle n’a pas envie de l’entendre. Tout comme elle n’a pas envie de lui donner ce qu’il souhaite. Non, elle n’est pas devenue journaliste, comme elle le souhaitait à l’époque, et c’est en partie sa faute. Même si sa vie actuelle lui convient finalement très bien. « Ça fait presque six ans. » Forcément, elle sait, parce que l’âge de Zach le lui rappelle forcément. Ce n’est pas étonnant que Wyatt s’y trompe en revanche. Elle n’en attendait pas moins. « Et donc tu penses que tu n’es plus con ? Ou juste moins qu’à l’époque ? » Vu le début de leur conversation, elle n’est pas tellement sûre. Elle boit une gorgée de son café, et repose la tasse sur la table, en lâchant un soupir. « Permets-moi d’en douter. » Et il est absolument hors de question qu’elle lui fasse à nouveau confiance un jour. S’il cherche à se racheter, ou à se faire pardonner, il devrait vite comprendre que ça ne fonctionnera pas.